Invité de L’atelier des recherches #1, Laurent Cauwet crée la structure éditoriale Al Dante en 1992 qui, dans un premier temps, publie un journal d’information d’art contemporain (17 livraisons), puis des livres (premier livre publié en 1995), des revues et journaux (Nioques, la res pœtica, Contre-Attaques, Attaques), des CD, des DVD, et divers éphémèras… Il organise de nombreuses manifestations (rencontres poétiques et performatives, expositions, débats, interventions urbaines…), crée un festival à Limoges (de 2007 à 2010) et ouvre un lieu culturel autonome (Manifesten, à Marseille, en 2013).
Auteur, il participe à quelques revues (Lignes, Faire part, Incertains regards…) et publie La domestication de l'art (La fabrique 2017).
Laurent Cauwet parlera de la revue Attaques en particulier, et plus largement de son parcours d’éditeur
Écoutez la rencontre avec Laurent Cauwet
Jean Ça nous paraissait pertinent d’aborder un parcours comme le tien sous l’angle qui est le nôtre, c’est-à-dire celui que j’ai appelé des technologies intellectuelles, c’est-à-dire de savoir s’il y a des outils que tu peux décrire, si tu peux expliquer comment ils se sont créés, quels sont leurs avantages, leurs limites éventuellement, enfin voilà, et puis que surtout on les discute ensemble. Sachant qu’on s’était dit que le point de départ intéressant pour la discussion d’aujourd’hui, c’était l’actualité en fait d’Aldante et qu’il y a une revue qui s’appelle "Attaques" donc qui est publiée depuis... là c’est le troisième numéro et le quatrième numéro va paraître... – Non le quatrième est sorti mais je l’ai oublié – Voilà le quatrième et le cinquième – C’est le cinquième, c’est ça – Et donc c’était un peu le point de départ, on s’est dit que le point de départ de la discussion était peut-être que tu commences à parler autour de cette revue, de savoir comment elle est pensée, à quel genre de questions elle se frotte, qu’est ce qui a pu susciter sa naissance et comment tu la conçois.
Laurent Cauwet – Avant d’essayer de répondre à cette question, j’aimerais revenir au tout début de ta présentation, mais tu m’as rangé parmi les éditeurs. Et j’aimerais faire une nuance qui est extrêmement importante et qui va permettre d’éclairer un peu, entre autres, l’histoire de cette revue. Je ne me suis jamais considéré comme un éditeur. Je pense plutôt que je pratique l’édition. La différence, ce n’est pas une petite nuance. Éditeur signifie avoir un métier. Un métier signifie beaucoup de choses, c’est-à-dire une dans le champ capitaliste, ça veut dire une certaine idée d’un professionnalisme, ça veut dire aussi également avoir toute une réflexion sur ce qui est de l’ordre de l’échec ou de la réussite, que ce soit en termes de visibilité économique ou autre. Et ce sont des choses qui ne me regardent pas, qui ne m’intéressent pas et dont je me suis toujours senti extrêmement étranger. Et c’est pour ça que je préfère dire que je pratique l’édition. Je pratique l’édition comme une façon d’être au monde, c’est-à-dire avec dans ma façon d’être au monde qu’est-ce qui serait du domaine de l’échange. Voilà. Ce qui veut dire que pour moi je peux avoir des joies, des tristesses, des doutes, mais les notions d’échec ou de réussite ne m’intéressent pas, ne me regardent pas. Je n’échoue pas, je ne réussis pas. De la même façon que la notion de professionnalisme ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse c’est c’est, tu parles de technologie, c’est la mise en branle pour chaque aventure éditoriale des bricolages nécessaires pour que ça existe le mieux possible. Voilà, il n’y a pas de cadre, il n’y a pas un professionnalisme qui permet de montrer le mieux possible ou de rendre lisible le mieux possible le texte d’un auteur. Je pense qu’à chaque fois, il faut re-réfléchir comme s’il fallait jusqu’à réinventer les outils d’impression. Il faut à chaque fois réinventer de la même façon que pour lire un livre, il faut réapprendre à lire. Enfin voilà. Donc revenir toujours à la source avec les acquis, les rencontres et ainsi de suite. Bon voilà, ça c’était simplement pour. À partir de là, la pratique de l’édition, effectivement, ça a la base, il y a rendre lisible le mieux possible le texte d’un auteur. Mais il y a aussi comment fomenter des rencontres, comment faire en sorte que le fossé qu’il y a entre le lecteur et l’auteur soit le plus réduit possible. Comment ces charges symboliques qu’il y a sur l’auteur ou l’éditeur s’aménuisent le plus. Comment faire pour qu’une discussion soit possible ? Alors, il y a eu toutes les stratégies, on en parlera certainement tout à l’heure, mais tout au long de la pratique de l’édition, j’ai organisé de façon plus ou moins probante, après ça c’est une discussion à avoir, des rencontres, que ce soit des choses extrêmement, qu’elle était sur l’ordre de l’impromptu, de la performance dans la rue, que ce soit dans lieu institutionnel, dans des lieux non institutionnels. Petit à petit j’ai commencé à voir que ça fonctionnait de moins en moins bien, donc il y a eu l’idée d’un festival, que je considérais déjà comme une revue en trois dimensions. Il y a eu l’idée à Marseille de créer un lieu autonome, un lieu culturel autonome, que je considérais aussi, d’ailleurs ma façon d’en parler, c’est une revue en trois dimensions. Au fur et à mesure, avec les déplacements, une réalité, un environnement qui évolue, qui fait qu’il est de plus en plus, à mon sens, difficile d’organiser des manifestations qui aient une pertinence, qui arrivent à offrir, à donner quelque chose, à créer des situations sans rajouter du bruit au bruit, je suis revenu au format Revue, qui est effectivement, malgré tout, le plus simple. Et cette Revue, elle avait pour but en premier d’arriver à faire se confronter des auteurs. Des auteurs, quand je dis auteurs, pour moi, c’est au sens large. C’est autant le poète que l’écrivain, que le philosophe, que le plasticien, mais des auteurs dans le sens où, suite à une discussion, ils envoient une intervention pour une revue. Donc pour moi, ce sont des auteurs. Des auteurs qui viennent des pays d’Europe, des pays d’Afrique, des pays d’Amérique latine. C’est-à-dire des gens qui ont... des auteurs qui avaient une pensée en partage, qui serait par exemple à quoi ça engage de produire du texte, de l’image, et ainsi de suite, mais dans des réalités tellement différentes, dans des contextes politiques, culturels, historiques, tellement différents, qu’il me semblait que seule la confrontation de ces textes, de ces images, permettrait de penser ça, de penser ces situations, en fait, d’une façon de créer des situations en papier. Comment penser ces situations différentes à partir de la note, à partir de la leurre, à partir de... C’est un des intérêts de l’édition et de la revue, c’est de pouvoir créer des espaces où il n’y a aucune frontière. Simplement le fait qu’à chaque fois que le mot frontière est posé, il est réfléchi. C’est-à-dire de retourner une situation que l’on vit de plus en plus douloureusement tous les jours en ce moment.
Jean -Oui, j’ai juste deux réactions sur ce que tu viens de dire. C’est sûr que le mot technologie, on pense tout de suite en termes de réussite, d’échec et naturellement, comme toute technique, enfin voilà, donc ce n’est pas tellement notre idée sur la technologie intellectuelle.
Laurent Cauwet -Non, c’était par rapport au mot éditeur.
Jean -Oui, j’ai bien compris. Mais bon, quand même, je voulais le préciser. Et ensuite, il y a des choses que j’entends, là, c’est que là, Déjà, il n’y a pas de frontière entre livre et non livre et organiser, c’est ce que tu viens de dire, organiser une revue en 3D, penser, comment dire, organiser un festival comme une revue en 3D, penser une revue comme une série d’interventions, en fait désacraliser complètement le passage entre ce qui serait de l’imprimé et ce qui ne serait pas de l’imprimé.
Laurent Cauwet C’est disons qu’à l’origine, la volonté est la même, c’est de créer des situations. Effectivement, on ne fait pas la même chose dans un lieu comme ici ou dans une revue en papier qui reste enfermée dans ses pages et dans son chapitrage, dans son sommaire, mais c’est plus la volonté de départ qui est ce désir de créer des situations, de créer des disjonctions positives, intéressantes, qui permettent de... qui permettent les rencontres.
Jean Du coup, ce que tu viens de dire, c’est que la revue "Attaques" en tant que revue, elle est née d’une espèce de sentiment que les espaces se refermaient et que c’était dans le cadre d’une revue que pouvaient se faire les choses les plus intéressantes. Là, ce qui est frappant sur la revue, peut-être, c’est le côté international des choses, parce qu’il n’y a pas tant de revues qui mobilisent autant d’auteurs.
Laurent Cauwet Il y a plusieurs raisons. Déjà, il y avait le constat que le milieu poétique, pour parler de celui-là, qui en soi ne m’intéresse pas réellement en tant que milieu, depuis quelques années, c’était extrêmement autocentré, européanisé, voire francisé. il y avait quelque chose de terriblement français tout d’un coup, et en France, quand on dit français, ça veut dire parisien, très vite, enfin qu’il y avait quelque chose d’un peu terrible, que dans l’histoire récente de ce milieu poétique, alors qu’il y a très peu de temps, il y a encore une vingtaine d’années, il y avait des énergies, des expérimentations, des tentatives qui permettaient d’imaginer comme ça des failles de pensée, des ouvertures, il y a eu une esthétisation des textes, il y a eu une esthétisation des expérimentations, on a vidé de sens toutes ces expérimentations et ça s’est renfermé sur soi-même. Ce qui est une histoire complètement banale, l’histoire des avant-gardes n’a toujours fonctionné comme ça. Il y a un moment, un souffle de vie, il y a un moment quelque chose qui, comme ça, sort et puis la façon de digérer tout ça, d’enlever le sens, de dépolitiser, de désensibiliser, de déhygiéniser certainement, c’est de reproduire quelque chose qui serait de l’or de la création, de reproduire une esthétique en la vidant de son sens. Par exemple, je ne sais pas, l’image la plus bête historiquement, enfin la plus simple, c’est d’imaginer la perturbation terrible du premier élément de Marcel Duchamp et de voir que ce collage comme ça, de mettre un objet trivial dans un temple de la culture, a pu perturber les visions et faire réfléchir autrement l’objet et l’œuvre d’art et le temple, les spectateurs et l’artiste, tout ça, on part dans un geste. Alors que maintenant, le principe du readymade, il est complètement accepté et il décore le musée. Ça ne choque plus personne, au contraire, ça rassure, on connaît. Et ce processus-là, on peut le coller sur tout. Et la poésie n’échappe pas à ça. le fait d’avoir réussi quelque part à retirer la poésie de la marge et à la mettre dans sa visibilité, fait qu’elle est maintenant traitée de la même manière que les créations artistiques contemporaines. Et on le voit très très bien en ce moment. La poésie devient une sorte de milieu de l’entre-soi où se réunissent des très très bons artisans de la langue qui produisent des textes extrêmement séduisants et bien foutus, mais qui ont perdu tout intérêt. Donc le fait de m’échapper de ça et d’aller voir ailleurs comment ça fonctionne était déjà une première réponse. Ce n’était pas la plus importante, mais c’était aussi une première réponse. Elle est là où le vivant, le sensible avait encore quelque chose. En Amérique latine, il y a des expérimentations incroyables. Bon après, ce n’est pas les mêmes contextes, ce n’est pas la même histoire. c’est dans les pays du monde arabe, il y a des choses absolument incroyables qui se passent, et de pouvoir les faire se réunir permet de re-réfléchir nos pratiques et aussi nos histoires, nos histoires des avant-gardes. On réfléchit toujours par rapport à elles, si on se bloque sur l’histoire de nos avant-gardes, on ne comprend absolument pas la modernité du monde arabe. Pour qui la notion d’avant-garde n’existe pas ? Enfin, la notion de modernité, bien sûr, énormément, mais ça fonctionne autrement. Pareil pour l’Amérique Latine.
Public Normalement, si tu pouvais parler dans le micro. – On parle du coup, c’est cette question de... Donc là, il n’y a pas de frontières. En tout cas, c’est plutôt ce que tu cherches, de réouvrir ces frontières. Et du coup, malgré tout, tu parles de ces contextes différents. Là, tu parles, par exemple, du monde arabe qu’on ne peut pas comprendre. Comment toi, techniquement ou matériellement, dans tes éditions, tu t’en sors en fait. Est-ce que c’est une nécessité pour toi ? J’en parle parce que pour nous, c’est des choses qui sont courantes dans notre travail, d’arriver à préciser les contextes dans lesquels les choses sont produites. Et du coup, pour moi, c’est un enjeu. Du coup, je me demande comment tu procèdes en édition ? Est-ce que c’est un besoin ou est-ce que tu arrives à apprendre textes tels qu’ils sont et il n’y a pas d’explication des contextes. C’est une sorte de vie qui s’autonomise, du coup, forcément, un montage, je ne sais pas, un dialogue que tu crées dans ces espaces éditoriaux.
Laurent Cauwet – Tu veux dire comment j’agence, comment j’écris un sommaire ?
Public – Tu me dis, est-ce que du coup, il y a quelque chose de l’ordre du contexte qui est expliqué ou pas du tout ?
Laurent Cauwet – Ça dépend des textes. Vraiment, ça dépend. C’est en général une discussion que j’ai avec les auteurs ou les traducteurs. Alors déjà dans "Attaques", autant faire ce peu, je me débrouille pour que, pas forcément pour les livres, parce que c’est une autre réflexion, le livre, mais pour la revue, j’essaye de me débrouiller pour que ce soit toujours bilingue et que la langue d’origine soit en pleine page et la traduction en français comme note, parce que c’est un lieu d’accueil, Enfin voilà, et surtout par rapport à certains contextes politiques, malgré tout, quand je dis qu’il n’y a pas de frontières, c’est joli, c’est un petit coup de... Voilà, mais on est en France, donc j’essaye toujours de me mettre un peu en retrait, comme quand on accueille quelqu’un, comme quand vous accueillez ici quelqu’un, vous vous mettez plutôt en avant et vous vous mettez en retrait. C’est tout simplement ça, c’est une façon de... Ensuite, il y a toujours des indices. Je me sens plus proche des techniques de suggestion que d’affirmation. Il y a toujours des indices pour comprendre le contexte. Quand vraiment le contexte est, par exemple, dans le numéro 3, il y avait un petit dossier sur la poésie révolutionnaire au Soudan. Si on lit ce dossier sans texte, on ne comprend pas l’intérêt. Parce qu’objectivement, tous les textes ne sont pas très bons. Simplement, ce qui est intéressant de savoir, c’est qu’au Soudan, qui en est à trois ou quatre révolutions, qui est un pays depuis son autonomie en constante fusion, lors des débats politiques, dans la rue, à tous les endroits où une parole politique naît, il y a toujours eu une ou des personnes qui improvisent de la poésie. Et je me dis qu’un pays où la langue spontanée et la langue qui est là pour poser une pensée politique se passe par la poésie, c’est assez rare pour que ce soit... Et là, effectivement, on fait un petit texte. Enfin, la personne qui a réuni... Ind Medet, pour ne pas la nommer, qui a réuni ces poèmes a fait un petit texte explicatif. Sinon, on ne comprend pas l’intérêt. Donc, ça dépend. Après, il y a des... Là, par exemple, dans numéro 5, il y a un texte chilien extraordinaire se pose la question. Est-ce que c’est intéressant d’expliquer le contexte politique, d’où ça vient et tout, alors que tout est dit dans le poème ? On part toujours du principe que le lecteur est intelligent, sinon on fait autre chose, on fait charpentier. C’est un métier que j’aime bien. Et voilà, donc ça dépend. Pour les dossiers plutôt historiques, oui, on met toujours un petit, au minimum, un petit chapeau pour recoller avec l’histoire.
Jean Il y a aussi des situations dans lesquelles on a l’impression que tu t’engages quand même assez directement et que ce n’est plus un contexte extérieur, vient de ton histoire. C’est ce que tu me racontais avec le groupe tunisien dont tu parlais, ce que tu fais au Maroc. On a vraiment l’impression que tu rentres dans des connexions avec des collectifs ou des groupes qui travaillent dans leur espace et dans lesquels tu interviens.
Laurent Cauwet Ça rejoint ce que disait un peu benoîtement, un peu bêtement, une façon d’être au monde. Lorsque je suis confronté à une situation qui me paraît importante, intéressante, et qui me semble importante de partager, moi, ma seule façon, c’est de fabriquer du papier. Enfin, je ne suis pas écrivain, je ne suis pas orateur, je ne suis pas… Voilà, donc mes rencontres effectivement, lorsqu’il faut les passer, d’une façon ou d’une autre, je fais un livre ou un journal ou une revue. À une époque je faisais des journaux mureaux, enfin après ça dépend. Là en Tunisie, effectivement c’était passionnant. J’ai été invité par un collectif à Tunis, c’est un collectif qui avait fabriqué, Alors il y avait dedans des artistes, des étudiants, des ouvriers, c’était un mélange. Ils avaient, dans le contexte unisien, donc qui est un peu complexe, ils avaient fabriqué une agora sauvage. Et cette agora sauvage, c’était en fait, au début, c’était un mobilier urbain. Ils avaient fabriqué une sorte d’agora ronde en bois, tout est échevillé, des petites marches, des bancs, tout ça rond. Ils avaient même pensé à mettre des hauts vents, parce que le soleil là-bas, c’est pas de la gnognotte. Et voilà, et donc, du coup, ils préparaient leur trou, tout rentrait dans un triporteur, le triporteur étant, dans le monde arabe, le moyen de transport du travailleur pauvre, et rentraient debout comme ça. En 20 minutes, ils construisaient leur truc. C’était incroyable à voir. Et hop, ils avaient invité des amis, ils faisaient un débat sauvage sur la place publique. Ça pouvait être dans la Médina, à un endroit où il y avait un quart de rue. Ça pouvait être en face d’une institution politique ou culturelle. Ça pouvait être dans le marché. Et voilà. Et puis, ils m’avaient invité à participer à un des débats. sur la décolonisation des imaginaires. Et j’avais été subjugué sur la façon dont ça fonctionnait. Très très vite, alors qu’il y avait quelques amis qui avaient le rendez-vous par bouche et oreille, mais sinon, donc au début on repérait un peu les gens, il y avait 20, 30 personnes, au bout d’un moment il y avait 200 personnes. Et ça gueulait, ça parlait dans toutes les langues, en tout cas en français et en arabe. Et c’était d’une vivacité incroyable. À tel point d’ailleurs que la positive nulle a détruit ça. Ça devenait un contre-pouvoir, simplement de créer un espace où la parole était enfin possible. Et je me souviens que les échanges pouvaient être, j’allais dire violents, mais violents au sens positif du terme. Il n’y avait pas de violence, il n’y avait pas de brutalité, il n’y avait pas de méchanceté. Mais ça pulsait, hein. Ça pulsait, on allait suivre. C’était... Voilà, cette expérience-là, je voulais d’une façon ou d’une autre en parler, et puis la police est venue à tout détruire. Pas d’une façon tendre, enfin en général, la police détruit rarement de tendrement. Et donc, du coup, ils m’ont raconté ça, et puis donc ça a donné lieu à un dossier effectivement d’attaque. Mais là, dans ces cas-là, je n’interviens pas. On parle un petit peu de comment amener ça. Et puis je leur donne les clés du Mac et puis ils m’envoient les fichiers et les pages.
Jean Tu interviens pas, mais t’es là quand même et tu joues un rôle.
Laurent Cauwet Ah ben oui, je leur dis venez, il faut que vous nous parliez de ça. C’est important.
Jean C’est lié à ta façon de percevoir ta démarche, ta pratique dans l’édition.
Laurent Cauwet – Oui c’est ma façon à moi de les inviter.
Jean – C’est fondamentalement interne à ta manière d’aborder ces questions-là, ces choses-là. C’est pas rien quand même. Tu n’interviens pas mais tu…
Laurent Cauwet – Oui enfin…
Jean – Voilà, tu n’interviens pas. – Tu donnes un espace. – Tu donnes un espace, oui c’est ça.
Laurent Cauwet – Après il y a effectivement quand quelqu’un arrive, il y a toutes les façons de travailler possibles. Quand je dis que j’aurais donné des clés du Mac, je leur ai donné le format de la page et puis ils m’ont envoyé un dossier. J’ai vu le cas, les inclures. Il y en a d’autres où il faut tout faire. Il y en a d’autres. Il y a tous les cas de figure. C’est pour ça que la revue paraît un petit peu désordonnée et bruyante, visuellement bruyante.
Jean Justement, c’était une question que je pouvais poser. peut-être tu parles de situation, mais quand même, comment se fait la comment tu fais la programmation là pour le coup ? Je ne sais pas s’il faut parler de programmation ou comment ? Est ce que c’est juste le hasard ? Les rencontres, le quel début ? Si le directeur arrive à.
Laurent Cauwet Il n’y a pas de thématique, même si au bout d’un moment, il y a quand même un lien. Déjà, je peux un peu dire comment s’abrique le sommaire. Au début, il y a toujours trois textes théoriques, pas un pour éviter de donner une seule direction, mais trois pour que le champ réflexif soit le plus ouvert possible. Il y a un texte sur une thématique, là, donc numéro trois, c’est de la restitution. Le problème de la restitution des œuvres, par exemple, au Quai Branly, il y a pas mal d’œuvres que certains gouvernements du continent africain demandent la restitution. Il y a ensuite toujours un endroit où, ça, c’est quelque chose qui m’intéresse et qui intéresse beaucoup le monde de l’art, ce sont de répertorier des pratiques artistiques qui viennent du monde ouvrier. Ça peut être le détournement, le vol, le travail au bleu, je ne sais pas si vous voyez ce que c’est que le travail au bleu, ce sont des ouvriers qui vont, artisans ouvriers, qui à l’usine récupèrent des matériaux pour faire ce dont ils ont besoin. L’histoire la plus connue par exemple, c’est le gars qui a réussi en disant à se fabriquer une voiture simplement qu’il travaillait en métallurgie avec des pièces qu’il a réussi à faire soi-même. Ou c’est le gars qui s’est fabriqué toujours en métallurgie un faux ventre. Moi, je pourrais pas, par exemple. Un faux ventre qui était un bidon courbe comme ça. Et il arrivait à piquer toute l’essence et l’huile dont il avait besoin. Et ainsi de suite. C’est comment tripoter la balance économique du monde ouvrier pour essayer d’avoir un petit peu. Et il y a pas mal d’artistes qui s’intéressent à ça. Tout ce qui est, oui, voilà, Traviaux bleus, Détournement. Je ne sais pas mon nom, tu sais, je l’ai oublié aussi. Enfin bon, c’est entre deux choses. Et ensuite, il y a toujours un endroit, quelque chose qui sort d’anthologie, de poésie, d’un peuple ou d’une région ou d’un peuple sans terre qu’on ne connaît pas ou très, très mal. Et ensuite, il y a des interventions de poètes. Et ça finit à la fin, mais que à la fin, par des dossiers historiques. L’idée étant que je pense qu’il est extrêmement important de – pas seul le penser – de revoir notre histoire à partir d’aujourd’hui et non pas d’être dans une logique historiciste. Donc, à la fin, il y a des petits clins d’œil, comme ça, des choses historique qui me semble toujours opérant, toujours utile, toujours qui me paraît important de revisiter. Et donc, comment se construire un sommaire ? Il y a dans mes rencontres, discussions, il y a toujours quelqu’un qui me propose, qui me dit il y a ça, je travaille là-dessus, c’est extrêmement important. Donc, sans parler de dossier, je n’aime pas trop ça, mais je sais que ça va prendre un certain espace dans la revue. Là, par exemple, il y a un collectif, encore une fois, d’artistes tunisiens qui me proposent quelque chose sur la langue de l’exil. Vu leur façon d’en parler, moi, ça m’intéressait parce qu’a priori, on allait sortir de la logique un peu humaniste qu’on a l’habitude d’utiliser, de nous abuser. Donc je me dis, tiens, là, peut-être tu as moyen. À partir de là, j’en parle à quelqu’un d’autre. Un ami psychanalyste marocain me dit, mais moi, j’ai fait tout un truc sur le corps de l’exil, sans que ce soit une thématique, il y a au bout d’un moment quelque chose qui se construit avec, j’espère, une logique interne.
Public Pourquoi vous ne vous sentez pas égal ?
Laurent Cauwet Parce que je ne pose jamais un thème. Je ne suis pas arrivé en disant, le prochain 5, on va tous travailler sur l’exil. Je ne sais pas, il va y avoir d’autres interventions qui, a priori, n’ont rien à voir avec l’exil, le fait… Moi, il y a un truc qui m’a toujours… Je ne sais pas si ça vous arrive, mais parfois, ça me toque, je rerange ma bibliothèque. Et il y a toujours des moments à la fois complètement excitants et improbables parce que, bon, il peut y avoir tel livre passionnant, tel livre passionnant, mais là où vraiment il se passe quelque chose d’excitant, c’est entre les de l’Ion. Qu’est-ce que ça raconte ? La revue fonctionne comme ça. Je ne dis pas la thématique c’est l’exil, mais en papotant et tout, incidemment, ah tu sais il va y avoir quand même des conséquences sur l’exil. Après ça parle, ça ne parle pas, mais de toute façon la personne qui m’envoie quelque chose le sait. Donc je pense moi qu’il y a une prise en compte ou non prise en compte mais assumée. Il y a une décision, il y a une non-décision, mais la non-décision est une décision. Vous voyez ce que je veux dire. Donc non, il n’y a pas de thématique, il n’y a pas d’obligation. Aujourd’hui, on bosse là-dessus. Pour donner les autres, enfin, formuler les autres invitations. C’est un peu une façon de dire à la personne où est-ce qu’il va mettre les pieds. C’est un peu comme quand t’invites des amis chez toi, tu dis, il y aura un tel, un tel, une telle, une telle. Ça marche un peu comme ça. Mais en général, si dans le cours du papotage, j’en arrive à dire à la personne "est-ce que tu n’as pas envie d’intervenir ?", c’est que quand même, il y a eu quelque chose qui m’a parlé.
Jean En tout cas, pardon, tu voulais dire Julie ?
Public C’est ce quelque chose là que j’aimerais essayer de comprendre, mais C’est de l’ordre de l’intuition ou toi tu fais des liens du coup entre...
Laurent Cauwet Oui, je fais des liens. C’est un petit peu, c’est le coup du frottement entre deux livres. Oui, c’est ça. Après, je ne sais pas si ça fonctionne. De la même façon, je m’amuse à ponctuer. Il y a quand même une bibliothèque mentale à peu près commune à tous les gens qui sont dans l’expérimentation, la recherche et autres. Et quand je vois qu’il y a tel auteur ou telle plasticienne, ou tel je ne sais pas quoi, qui intervient régulièrement, enfin qu’on retrouve dans plusieurs textes, je me débrouille pour que, en tirant le fil, il y ait une logique et qu’on se dise "Tiens, il y a quand même très, très loin derrière le patchwork inhérent au principe de la revue, il y a une partition commune". Par exemple, dans ce numéro-là, il y a le numéro 3, il y a sept auteurs qui ne se connaissent pas, qui ont parlé de Kafka, donc d’une façon ou d’une autre, par un jeu de citations, de grossissement. Enfin voilà, je vous dis que peut-être que là, la partition, elle mérite d’être réfléchie, mais chacun fait ce qu’il veut.
Public C’est un peu drôle que tu dis ça, parce que du coup, j’ai l’impression que c’est un peu aussi l’endroit que toi, que tu provoques, que tu cherches à créer, tu vois, d’une certaine manière, cette interstice entre les deux livres.
Laurent Cauwet C’est une suggestion, encore une fois.
Public Oui, c’est une suggestion. Mais du coup, je trouve ça assez beau parce que c’est un peu en négatif et en même temps, c’est ce qui se suggère et qui n’est pas visible, mais que tu laisses, Quelle histoire que toi tu peux te raconter et que les gens sont libres de se raconter ou pas, ou une autre. Je ne sais pas.
Laurent Cauwet J’aime bien que tu aies utilisé le terme négatif parce que il y a en peinture une technique que j’aime beaucoup, la technique du repentir, que vous connaissez, où on fait apparaître en enlevant. Et ça, c’est effectivement quelque chose auquel je réfléchis quand je fabrique quelque chose et qu’au bout d’un moment, lourd, comment on peut enlever, en sorte que je ne suis pas écrivain, je suis revueiste, je l’écris, ce sommaire, comment j’enlève, comment je rends les choses lisibles.
Jean En tout cas, tout ce que tu dis là m’évoque quelque chose, enfin, que tu as souvent dit que tu avais un désir de rendre ta bibliothèque en fait accessible aux gens, lisible en fait comme une bibliothèque publique. Et j’ai l’impression que ça fait beaucoup écho à ton approche de cette activité là et que pour le coup, ça serait quand même peut-être une manière de décrire très, très basiquement par rapport à ce que tu fais, par rapport à la dynamique dans laquelle tu es. Mais je me trompe peut-être. Le désir, en fait, de... Je me souviens quand tu étais à Limoges, c’était, t’avais envie au fond que tous les bouquins, parfois précieux, chez toi et soit finalement lisible par les gens quoi.
Laurent Cauwet J’avais fait ça à Manifestaine, donc le lieu j’avais ouvert à Marseille. En fait j’ai ouvert ce lieu tout bonnement parce qu’il y a eu Marseille 2013, Capitale de la Culture, qu’au début j’avais été contacté, j’avais accepté plusieurs projets et puis des amis sont venus voir en disant mais tu as vu un un peu ce qui se passe, ils m’ont amené à la Joliette, dans certains quartiers, et quand j’ai vu ce qu’il y avait derrière, parce qu’on oublie toujours que le pouvoir armé de la culture, il y avait eu un texte à Lille, un texte, un tract qui disait, je me rappelle plus des mots, qui disait qu’on oublie toujours qu’on n’arrive pas à penser le gros problème politique qui va nous tomber déçu il est autour des fanfares et des paillettes. Et donc du coup j’ai refusé de... j’ai coupé tout contact avec Marseille 2013, j’ai refusé. Il y a quelque chose pour moi qui me paraît évident, c’est qu’on ne peut pas rester sur un refus. Il faut dire, il faut faire. Et du coup j’ai offert ce lieu, c’était une façon de dire qu’on nous ment, on nous ment, on n’a pas besoin d’institutions pour arriver à avancer, pour faire faire des choses, on peut très bien se débrouiller tout seul. J’ai ouvert ce lieu un petit peu, un peu au flanc en fait. Et donc, j’avais trouvé un lieu vraiment, l’allocation vraiment pas cher, avec quelques amis, on a refait tous les travaux. Puis on a ouvert comme ça et ça a relativement bien marché. La première chose que j’ai fait, le lieu était assez grand. C’est de fabriquer une bibliothèque où je descendais tous mes livres. Et j’ai vécu cette expérience au début de façon très marrante parce que j’allais voir. J’avais des moments de tristesse parce que c’était volé. Au début, c’était que volé. Et puis, au bout d’un moment, les vols se sont... Je crois qu’il y a eu une réaction de gens qui sont dits encore des bobos parisiens qui viennent occuper notre espace. À Marseille, c’était un moment où, justement, c’était très compliqué, cette histoire. Au bout d’un moment, les vols se sont espacés. Il y en a eu de moins en moins. Puis, c’est pas les livres au cashier de juste qui ont été volés parce qu’en en général, qui sont pas beaux. C’est des vieux trucs des années 70. Et il y avait un moment où il y avait quand même des livres qui déjà disparaissaient, mais qui étaient remplacés par d’autres. Et là, je me dis, putain, il y a quelque chose de gagné.
Public Juste peut-être, vous m’entendez ou pas ? Oui, là on t’entend. Bon, non, oui, juste, en fait, ce serait juste plutôt une remarque peut-être de synthèse. en écoutant Laurent refaire l’histoire de ses pratiques, ce que je trouve toujours très très beau et qui me touche encore ce soir, et je pense que c’est une question qui nous concerne tous plus ou moins, c’est comment tout l’effort de Laurent, tu vas me dire si je ne me trompe pas Laurent, c’est d’échapper au marché du divertissement en fait. Tu parlais de paillettes tout à l’heure, ou certaines pratiques aussi culturelles, d’institutions etc. Mais ce qui est toujours difficile en art, c’est comment ne pas être aujourd’hui pris dans une économie et un marché du divertissement. Et voilà, c’était ce que j’ai à dire et qui me tient à cœur.
Laurent Cauwet C’est d’autant plus compliqué et qui demande à être réfléchi qu’il y a eu un moment où, mais c’est toujours le problème de la place du pouvoir. Il y a eu un moment où de traverser la scène était possible. C’était possible de créer une perturbation, une disjonction et de dire quelque chose. Ça a duré très peu de temps. Mais il y a eu quelques années dans les années 90 où c’était possible parce qu’on ne nous attendait pas là.
Public C’était fin 90 ? C’était quand exactement ?
Laurent Cauwet De 95 à 98, 99. Ce petit moment là où on ne nous attendait tellement pas dans les temps de l’art contemporain, ni dans la rue, ni nulle part d’ailleurs. Et encore, je pense que je suis trop généreux en disant 4 ans. Il y a eu un moment où c’était possible, mais très, très vite, le pouvoir de digestion des institutions a foutu ça en l’air. Donc après, en plus, là où je me suis coincé tout seul, c’est avec la pratique de l’édition qui demande énormément de travail, malgré tout. Même si je n’aime pas le mot travail, en réalité, ça demande du travail quand même. Et donc, arriver à être dans une sorte de, ce que j’appelle, une création de situation, je n’ai rien inventé, c’est un terme qui a été créé dans les années 60. Ça demande un plein de temps, ça demande en soi une réflexion. C’est pour ça que j’ai cherché des stratégies, comme le festival quand j’étais à Limoges. Quand je repense à ce festival, j’en ai un souvenir extraordinaire, parce que grâce à cette ville qui était à dimension humaine, à des rencontres amicales et autres, on a réussi à pendant un bout de temps à proposer aux gens de vivre au rythme de ce qui nous intéressait et avec une sorte d’équilibre, une sorte d’illogisme par rapport à la façon dont on organise les festivals habituellement, qui faisait que ça fonctionnait, ça fonctionnait bien. bien. Et ensuite, le Manifesten, c’était un coup de bluff. Pour que ça fonctionne, il aurait fallu justement se professionnaliser. Et ça ne m’intéressait plus. C’est dommage parce que je suis bon sain, m’enrichir. La bière à Marseille, qu’est-ce que ça nourrit son homme.
Jean Je vais relayer les questions de Sylvain peut-être. Il y a Sylvain écrit dans le chat, donc j’ai une question pour Laurent. Enfin, deux questions. Concrètement, combien coûte un numéro à faire ? Et deux, est-ce qu’il y a un nombre d’exemplaires à vendre du point l’éditeur pour pouvoir faire un nouveau numéro, un nouveau numéro numéro ?
Laurent Cauwet Ouh là, je ne vais pas répondre Sylvain, non pas parce que j’ai des choses à cacher mais parce que j’ai trouvé un système qui me permet de ne plus me poser cette question. Un des grands, enfin un des fils conducteurs de toute l’histoire d’Aldante, c’est l’abération économique. Et je crois que j’ai fait à peu près tout ce qu’il fallait faire ou pas faire. Le mécène, le gros éditeur, l’association, la SARL, le rien du tout pour voir ce qui va se passer. Et là j’ai trouvé un système économique ou non économique qui fonctionne. C’est-à-dire qu’au bout d’un moment, peut-être que j’ai plus l’âge non plus, des galères trop prononcées, j’ai acheté ma liberté. Grosso modo, les presses du réel acceptent toute ma politique éditoriale, en échange, je ne me fais pas payer. Donc au moins, c’est clair, j’ai plus ce problème là. Donc du coup, quand je sors un numéro d’Attaques, il est en partie payé par mon travail, que je fais pour gratuitement, et on va dire en partie par eux aussi. par eux aussi. C’est une sorte de... Mais j’ai pas calculé le combien. Donc du coup, oui oui, moi j’aimerais que ça se vende, pas tellement pour l’argent mais pour la diffusion, en sachant qu’il y a beaucoup de numéros qui sont diffusés gratuitement parce que tu peux pas demander dans le monde arabe aux lecteurs d’acheter une, surtout en Tunisie par exemple, une revue à 30 euros, c’est pas possible. Donc non, c’est une revue à perte. C’est une revue à perte et puis j’ai pas du tout calculé la perte parce que là j’ai pas envie de calculer les pertes. Au bout de combien de temps ça m’intéresse ?
Jean Oui, tu as parlé tout à l’heure du mécénat, enfin comme voilà, des expériences que tu as faites. Moi j’aimerais bien que tu en parles un peu, cette expérience du mécénat, Est-ce que c’est un peu le moment où on s’est quitté, enfin, en tout cas, on ne s’est pas beaucoup vu. Je ne sais pas trop comment ça s’est passé.
Laurent Cauwet En fait, historiquement, c’est là où on s’est rencontré. C’est le début du mécénat et on s’est quitté. Ça fait vraiment des pieds amoureux, quasiment à la fin du mécénat. Alors, oui, à l’intérieur, il y a une drôle d’aventure comme ça. Ça a créé des fantasmes. Il y a un architecte assez connu, un collectionneur d’art qui s’appelle Rudi Ricciotti, qui m’avait contacté, marseillais, donc qui m’avait contacté en me disant "mais c’est vrai que tu es dans la mouise". Je dis oui, on peut un petit peu. Voilà, donc on a papoté et tout. Il m’a dit, mais si tu veux, je rachète ton stock, je crée une SARL et tu redémarres. Et donc, ça a marché comme ça. Et puis, il y a eu, je ne sais pas si vous connaissez Ricciotti, vous pouvez dire Richiotti, un gars très étrange, très particulier, politiquement totalement indéfendable. Donc c’était parfois un peu bizarre. Du mènement très surprenant. Enfin bon bref, il m’a foutu une paire royale, payant tout, me disant parfois "ouais, t’as publié ça, c’est extraordinaire, ouais t’as publié ça, c’est insupportable, je pense que mon fric va là-dedans". Mais bon, il payait. Et puis il y a eu un problème un jour, c’est que je ne me considère pas comme un militant politique parce que parce que j’en connais trop des extraordinaires pour ne pas oser me comparer à eux. Mais j’ai souvent accompagné des militants et ayant un outil éditorial qui pouvait les servir, j’ai souvent fait des livres parce qu’ils avaient besoin à un moment donné de livres. Et puis, ça n’a pas tellement plu à Riccioti, notamment quand j’ai sorti le livre de Georges Ibrahim Abdallah. Là, il est un petit peu coincé. Donc on a divorcé à l’amiable. On m’a dit voilà, moi, je suis là pour défendre la poésie, pas ça, donc vous t’arrête ou on arrête. On a arrêté comme ça. Mais ça m’a permis de relancer Aldante, de tenter de nouvelles expériences et... et de continuer. De la même manière que j’ai été pendant quelques années dans le giron d’un gars qui s’appelle Léo Scheer, je sais pas si vous voyez qui c’est, qui est une sorte d’aventurier du capitalisme, que moi je connaissais pour ce qu’il avait écrit comme militant trotskiste dans les années 70, une société sans maître. Bon, il a bien évolué lui. Et donc, il m’avait pris dans son giron et c’est pareil, tant que je faisais ce que je voulais, je le faisais. Et le jour où il m’a dit "mais maintenant, il faut changer de politique éditoriale", ce que tu fais est extraordinaire, mais il faut que tu apprennes maintenant à être professionnel et à demander à tes auteurs d’écrire autre chose. Voilà, mais donc, là par contre, ça n’a pas été un divorce amiable, ça a été très orageux. C’est comme ça que j’ai fini dans une ferme à la creuse. Donc, tu vois une lutte de votre expérience de mécénat, c’est pas une bonne technologie ? Je ne me pose plus trop la question parce qu’avec le livre que j’ai publié, le mécénat, c’est complètement fini. Mais non, il y a peut-être quelque part des mécènes intègres. Je veux bien le croire. En même temps, c’est quand même l’imposition d’un pouvoir. Mais tout ce qui existe comme mécénat, c’est simplement des gens qui s’achètent une plus-value pour cacher leur propre histoire. Quelque part, Riciottti, même s’il s’est vanté sur du mécénat, bon, c’était pas une entreprise. C’était un type seul. Quelque part, il a tenté, je crois que c’était ça son fantasme. C’est un collectionneur d’art contemporain. Il a acheté des projets, c’est-à-dire qu’il a aussi été un collectionneur d’art conceptuel, celle que l’on donne de l’argent Je crois qu’il a voulu s’offrir une tranche de vie d’Allemande. Et puis voilà, mais quand on est arrivé d’un commun à un corps que ça ne pouvait plus continuer, il m’a tout rendu. Il n’y a pas eu de problème. Il m’a rendu, il m’a filé des livres, il a fait un papier de défaut de tout. Et puis il m’a dit, démerde-toi maintenant. C’est ce que j’ai essayé de faire.
Jean – Il y a une question dans le chat de Jean-Charles qui dit, rebondissant sur les questions de Sylvain, payes-tu les contributeurs ?
Laurent Cauwet Jamais. Non, en plus, ce n’est pas vrai. C’est très rare. C’est très, très rare. Les rares fois où c’est arrivé, c’est c’est parce que il y avait une proposition d’un livre qui était financé. Je veux arrêter de demander des subventions, mais parfois, quand il y a qu’on propose un livre qui m’intéresse, qui est financé par une université ou autre, Là, oui, ça peut arriver, mais c’est tellement rare. Je préfère dire jamais. Mais personne n’est payé, cher Jean. Si maintenant, ce que je fais, comme il y a... Ce n’est pas vraiment vrai, en fait, ce que je dis. Comme maintenant, je ne suis plus seul en direct avec les auteurs, qui a un filtre, qui est quand même, même s’il apprécie beaucoup, et que c’est quand même une histoire capitalistique, du Réel, c’est un essai Réel avec des comptes à rendre et autres. Et donc, du coup, j’engage la parole en capitalistique. Et là, du coup, j’ai demandé quand même au presse du Réel de payer des droits d’auteur, mais en livre. Voilà. Donc, les auteurs, quand ils publient un livre, au lieu d’avoir 20 exemplaires d’auteurs avec l’interdiction de les vendre, ils en ont une centaine avec l’autorisation de faire ce qu’ils veulent, dès le vendre s’ils veulent. Voilà, c’est une sorte de qui fonctionne plutôt bien parce que ça permet aux auteurs qui n’ont pas de fric lorsqu’ils font des lectures dans des lieux où il n’y a pas de librairie, ils mettent en vente. Ils peuvent donner s’ils veulent. Après, ils ont un rapport à leur livre qui est complètement libre. Mais non, sinon, je ne paye pas les contributeurs.
Jean Et moi, j’avais si je peux. Tu as parlé tout à l’heure des festivals à Limoges, des manifestants, On s’en souvient Agnès et moi parce que c’est à ce moment là qu’on t’a rencontré et qu’on a vécu un peu ce que tu as décrit.
Laurent Cauwet Et que vous m’avez nourri logé.
Jean Mais comment tu vis ? Parce que maintenant tu organises, parce qu’on t’a connu vraiment, t’étais absolument engagé dans cette pratique et c’était très directement lié à ton boulot d’éditeur. On sentait que ça relevait d’une logique qui était complètement organique, c’était un ensemble. Et tu fais plus ça depuis déjà quelques années, si je ne dis pas de bêtises. Comment tu vis ça ?
Laurent Cauwet Ça me manque. Ça me manque. Moi j’avais un souci. Mais en fait, ce que j’aimerais si je trouve un jour des moyens, c’est de faire un mix entre ce qui était manifestant du festival et manifestant de Dieu. C’est-à-dire ouvrir un lieu, être dans une logique de voisinage. C’est-à-dire d’être dans une dimension humaine, dans un quartier, d’ouvrir un lieu et de faire que ce lieu soit toujours, toujours, toujours vivant. Qu’il y ait toujours quelque chose qui se passe. Ce n’est pas forcément des animations, ce n’est pas forcément des rencontres, ce n’est pas forcément... Mais qu’il y ait des accrochages différents, qu’il y ait quelque chose qui fasse que ce lieu soit une revue en trois dimensions, je me répète, j’aurais d’autres, mais qu’on puis se feuilleter chaque jour, il y a quelque chose de nouveau. Ça, c’est mon rêve. Mais j’en parle comme d’un désir, comme d’un fantasme. Je n’ai pas le début du début du début. Voilà. Mais j’ai toujours une oreille aux aguets, quand on parle d’un lieu, de gens et tout, je vois, je regarde. Pour l’instant.
Jean Parce que typiquement, aujourd’hui, monter ce genre de choses demande soit des capitaux personnels énormes, soit un mécénat qui tombe du ciel, soit un boulot de dingue.
Laurent Cauwet Un boulot de dingue ou un réseau de connaissances. Je n’y pense toujours, mais ce n’est pas vraiment une priorité pour moi en ce moment.
Public Être à l’œuvre, pas dans l’idée de désinstituer à tout prix, mais plutôt d’essayer d’instituer des choses nouvelles. C’est un peu dans une dynamique, je m’intéresse pas mal à la question de l’analyse institutionnelle et du coup j’ai l’impression qu’il y a un manque de questionnement sur l’institution art en fait actuellement et que du coup même s’il y a beaucoup de choses qui sont à l’œuvre je pense qu’il y a pas mal de notamment de jeunes d’étudiants qui sont vraiment dans ces questions là et c’est des questions qu’on partage par ailleurs avec avec d’autres personnes à la fois des étudiants des profs etc qui regrettent et qui constatent qu’il peut y avoir même de l’auto censure en fait.
Laurent Cauwet – Vous avez beaucoup, oui.
Public – Du coup, je voulais te poser un peu cette question un peu générale, mais quels seraient pour toi les espaces ? Tu en parles, toi, dans ton désir personnel de ce lieu ou dans le refuge qu’est quelque part ces éditions ?
Laurent Cauwet – Je crois que la génération que j’ai accompagnée, qui sont les gens de mon âge, Quand j’ai commencé l’édition, j’avais 30 ans et je cherchais, en tant que lecteur, je cherchais des choses qu’on commençait à proposer, des auteurs ou des artistes qui avaient 30 ans. Il y avait cette liberté-là parce que personne n’attendait quelque chose émanant de l’espace poésie. Effectivement, on s’est engouffré là-dedans. On pouvait aussi bien faire quelque chose dans un bar ou dans la rue, mais aussi dans certaines institutions. C’est-à-dire qu’on rencontrait des gens. Moi, j’ai toujours dit qu’on travaillait avec des gens, jamais avec des institutions. On pouvait rencontrer des responsables à Limoges, à la DRAC. J’avais rencontré deux personnes qui... J’étais éberlué de voir que ça pouvait exister dans une institution aussi figée que la DRAC, quand même. C’est pas des rigolos, quoi. C’est quand même... Ils fabriquent les rails et qu’on permet le festival, clairement. alors que tous les autres le rechignaient plutôt à aider. Et grosso modo, c’était des gens qui disaient "mais c’est intéressant, qu’est-ce que vous voulez ?", grosso modo, on disait ça plus subtilement, grosso modo on disait "de l’argent et une carte blanche". Et voilà, on veut, faites-nous confiance, on va faire un truc. Et c’était encore possible. Parce que là, il y avait une nouveauté, il y avait un attrait. Très très vite, l’institution a compris qu’il y avait quelque chose à jouer là. Un, en termes de valeur spectacle, et deux, en termes de digestion d’un endroit où une résistance était peut-être capable d’émerger. Donc il fallait digérer. Et très, très vite, on est tombé sur des institutionnels qui disaient pas "Oh, c’est intéressant, bon coup", mais qui disaient "Oui, on pourrait faire ça, ça, ça". C’est-à-dire des institutionnels qui ont commencé à se prendre eux-mêmes comme curateurs, comme organisateurs. Et là, ça a été complètement... Ça a complètement vrillé l’histoire. Grosso modo, pour utiliser l’image du Readymade, c’est eux qui étaient les artistes et qui utilisaient les poètes, les artistes comme des Readymade qui posaient là où ils voulaient. Il y avait là quelque chose d’un peu trouble. Je crois qu’aujourd’hui, et cette génération-là, des trentenaires de l’époque, ils sont partis là où ils pouvaient. Il y en a qui ont joué le jeu de l’institution parce que tout d’un coup, on leur a proposé un truc incroyable, c’est d’avoir une classe. là où on pensait qu’on ne pouvait pas avoir de place, et très très vite, la nécessité de faire, de dire, de s’exprimer, d’inventer, de chercher, de bricoler, était remplacée par la nécessité d’être visible, d’être à sa place. L’intelligence de l’institution pour ça est extraordinaire, c’est d’avoir inventé cette notion de place. Mais vous avez votre place. Et donc effectivement, avec des pratiques d’autocensure, tu en parlais plus tout à l’heure, tu l’as dit typiquement, mais c’est monstrueux l’autocensure qui se passe. C’est un truc incroyable. Ce qui donne des discours d’artistes, de poètes qui disent "Moi, je ne me tourne pas, c’est exactement ce que je veux faire". Et on affirme et on assume. Et voilà, le terrain d’expérimentation s’est amené comme ça. Et là, maintenant, il y a effectivement des gens plus jeunes qui refusent la scène, quelle qu’elle soit, qui refusent l’institution, qui ont compris que c’était un mensonge dire qu’on avait besoin d’institutions pour continuer, pour créer et diffuser grosso modo, donc qui fabriquent des choses. Alors évidemment il faut fouiller pour les trouver parce qu’ils jouent pas de la pub, ils en ont pas, ils en veulent pas. Il y a des lieux qui se créent, bon ben c’est émergent. Moi je suis un idiot, je suis positif toujours. Moi je pense que ça…
Jean – Si ça continue, ça marche ? – Non.
Laurent Cauwet Sinon, pas grand chose.
Public (rires)
Jean – Est-ce qu’il y a d’autres questions ? Est-ce que des gens dans la vidéo veulent reprendre la parole ou intervenir dans la discussion ? Peut-être d’autres... Ce qui est... Pour moi, c’est intéressant d’avoir le parcours. Notre discussion, là, me... Ça donne quand même une vision sur l’histoire qui a été celle d’Aldante, qui est celle d’Aldante encore maintenant. Arriver à se représenter ça comme une... Je ne sais même pas quelle histoire c’est… Je ne suis pas sûr de le savoir, mais en tout cas, ça m’a fait réfléchir là-dessus.
Laurent Cauwet Je me pense à quelque chose, à la personne qui a dit "mais est-ce que tu payes les gens ?" Si, il y a une époque où les gens ont été payés et bien, c’était l’époque de Ricciotti. Alors là, ça n’a pas duré longtemps, mais…
Public Est-ce que ça fait une différence pour toi ?
Laurent Cauwet Non. Non, parce que c’est pour ça que je faisais la différence au début entre métier et pratique. Moi j’arrive à continuer, alors parfois j’ai des moments de panique, j’ai des moments de fatigue, j’ai des moments où je suppose que tout le monde ici, si on essaie de réinventer un peu sa vie, ça se passe rarement dans le confort, à
à moins d’être un grand héritier ou une grande héritiaire, mais ce n’est pas le cas. Non, pour moi, ça ne change rien. Simplement, ça demande à ce que chaque situation soit pensée, réfléchie et que quand des fois arrive, trouver des stratégies pour les amortir et continuer malgré tout. Ce qui n’est pas toujours facile, mais ça va.
Jean En tout cas, c’est sûr que le rapport à la gratuité, on en a souvent parlé, ça a toujours été une chose qui a été assez centrale pour toi déjà de faire des manifestations qui étaient gratuites quand on invitait des gens et que ce que disait Stéphie tout à l’heure sur la question du divertissement se vit directement sur les questions économiques. En fait, ce joue sur ce terrain là aussi.[…] Oui, mais les entrées étaient gratuites. Pour le public, ce n’était pas payant.
Public J’oublie de vous poser la question parce qu’il y a une mémoire. Tout a toujours été gratuit.
Laurent Cauwet Oui, oui.
Public Bien qu’une subvention puisse servir à payer.
Laurent Cauwet Oui, oui, bien sûr.
Public [Ceux] qui interviennent, qui écrivent, qui fassent une conférence, qui fassent… C’est la politique aussi de PAN.
Jean Tu veux dire quelque chose ?
Laurent Cauwet Non.
Jean On va peut-être s’arrêter là. C’est le moment.
Laurent Cauwet Oui.
Jean Est-ce que quelqu’un a quelque chose à dire qui le regretterait après ? Bon, en tout cas, on voulait te remercier tous, et moi en particulier, et Pan et Tigrou, te remercient parce que c’est quand même une histoire extraordinaire.
Laurent Cauwet C’est vrai que c’est un peu bizarre.
Laurent Cauwet crée la structure éditoriale Al Dante en 1992 qui, dans un premier temps, publie un journal d’information d’art contemporain (17 livraisons), puis des livres (premier livre publié en 1995), des revues et journaux (Nioques, la res pœtica, Contre-Attaques, Attaques), des CD, des DVD, et divers éphémèras… Il organise de nombreuses manifestations (rencontres poétiques et performatives, expositions, débats, interventions urbaines…), crée un festival à Limoges (de 2007 à 2010) et ouvre un lieu culturel autonome (Manifesten, à Marseille, en 2013).
Auteur, il participe à quelques revues (Lignes, Faire part, Incertains regards…) et publie La Domestication de l’art (La fabrique, 2017).